Chronique de la haine ordinaire
Bus n° 64, entre Bibliothèque François Mitterrand et l'hôpital Trousseau, où j'allais conduire mon n°2 pour y montrer un panaris mochtouille (je vous rassure tout de suite, le panaris n'est pas dangereux, et on a passé moins de 2 heures aux urgences, tout va bien !)...
De l'autre côté du trottoir, deux Africaines en boubou, dont l'une au téléphone, parlant assez fort, il est vrai, dans sa langue natale.
En face de nous, deux petites vieilles bien propres sur elles, les foulards autour du cou, le sac gentiment posé sur les genoux, la permanente bleutée parfaite.
Tout à coup, celle qui est assise en face de moi s'énerve : "ah, ils sont pénibles avec leurs portables, à tenir leurs conversations dans le bus... tout le monde en profite, ça me dérange, moi". Puis, haussant le ton : "elle parle trop fort ! Sale corbeau !". Sa copine pique du nez, mais ne dit rien. La vieille cherche mon approbation, mais ne rencontre qu'un regard aussi noir que le corbeau en question.
L'Africaine raccroche et lui dit "j'avais besoin de téléphoner", la vieille lui coupe la parole et lui hurle "oui mais pas si fort, tu me déranges, corbeau !". Le ton monte des deux côtés, et la vieille franchit encore une étape dans la colère "ta gueule ! Si tu n'es pas contente, tu descends, ça fera du bien à tout le monde ! Je parie que tu n'as même pas payé..." (oubliant au passage que vu son âge et la politique de la RATP, elle bénéficie du tarif réduit...). L'Africaine s'indigne : "mais si j'ai payé, descends toi-même !". Et la vieille, avec une élégance suprême, de lui dire : "tu m'emmerdes, va te faire foutre".
Et c'est là que je suis intervenue, forçant l'admiration de mon fils : "Madame, je vous prie de vous exprimer correctement devant mon petit garçon et d'éviter ce vocabulaire ordurier ignoble. Vous aussi vous me dérangez, à parler si fort et de manière si grossière, c'est indigne". J'ai eu aussi droit à un "vas te faire foutre, tu descends aussi....". A ce moment, un jeune homme, debout derrière la vieille, lui dit "non mais Madame, on va se calmer, là !". Tout le bus s'est mis à prendre parti, mais je pense que la vieille avait plus de détracteurs que d'admirateurs.
Notre arrêt arrivant, juste avant de descendre, j'ai dit à la vieille : "votre colère va vous emporter, vieille bique !". Et le jeune homme de soupirer : "mais non, elles ont la vie longue, les vieilles biques, ce sont celles qui durent le plus longtemps..."
Etienne aura quelque chose à raconter à ses copains lundi matin, mieux que le panaris, qui ne lui a même pas valu un pansement, sa justicière de Maman qui a grondé la vieille dame. Le racisme de cette dernière l'a beaucoup plus choqué que sa grossièreté...