des pleurs de rage
J’habite un bel appartement, à Paris, quai de la gare, dans le 13ème arrondissement, à côté de la Bibliothèque François Mitterrand. Un beau duplex, quasi neuf, dans un bel immeuble, avec vue sur la Seine. Je le trouve petit, c’est vrai, 85 m² pour 5 personnes, ce n’est pas énorme.
Ce logement, j’ai la chance inouïe de ne pas le payer très cher. Il m’a été attribué par la Mairie de Paris. Quand je dis cela, les gens clignent aussitôt de l’œil, et je suis obligée de préciser, presque honteuse « bah oui, on comprend pas, on l’a eu sans piston, mais c’était juste après l’élection de Delanoé à la Mairie, c’est peut être pour cela que cela a marché »…
Parce que c’est comme cela que cela marchait, avant avril 2001. Il fallait être bien avec les élus municipaux pour avoir des places de crèches ou des logements sociaux.
Alors pourquoi je vous raconte tout cela ?
Parce qu’aujourd’hui j’ai beaucoup pleuré. Parce que je suis rentrée de vacances hier, et qu’aujourd’hui, le fait divers monstrueux dont j’ai entendu parler à la radio pendant mes vacances, ce fait divers a pris corps. Parce qu’aujourd’hui, j’ai vu les gens du quartier, qui ne parlent que de « ça », j’ai lu les affiches placardées sur les murs de tous les immeubles environnants, qui dénoncent cette horreur.
Car j’habite près de la Seine, certes, mais aussi près de cet immeuble vétuste du 20 boulevard Vincent Auriol, qui a brûlé la semaine dernière.
17 victimes, dont 14 petits enfants. Des copains des miens. La plupart sont morts en se jetant des fenêtres pour échapper aux flammes. L’école du quartier a accueilli une cellule de soutien psychologique, pour assister les voisins des immeubles d’en face, qui ont vu les enfants tomber et ne peuvent plus oublier ces images atroces.
Je suis passée ce matin devant l’immeuble incendié. A la vue des tas de bouquets de fleurs qui se trouvaient là, sous le métro aérien, face au lieu du drame, je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir un énorme sanglot. Une pensée douloureuse pour ces mamans dont les enfants sont morts, mais aussi des pleurs de rage.
Oui, ces morts me font hurler. Car une polémique s’est engagée, dans le quartier. Chacun y va de son pamphlet sur les sans papiers, sur la misère, sur les capacités d’accueil de la France, cette soi-disant grande terre d’asile. Un papier, placardé sur notre immeuble, traite Sarkozy d’assassin, mais rappelle aussi cette phrase terrible lancée par Michel Roccard en 1991 « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Les habitants de cet immeuble n’étaient pas des sans papiers. La plupart d’entre eux travaillaient, et dur, qui plus est : les pères, comme éboueurs et aides dans les cuisines de restaurant, les mamans comme femmes de ménage dans les bureaux. C’étaient les aînés qui conduisaient leurs petits frères et leurs petites soeurs à l’école, le matin, les parents travaillant encore…Ils payaient le loyer de leurs appartement insalubres, entre 500 et 600 euros, c’est cher, non, pour habiter un taudis ? Les appartements étaient grands, mais pourris : les planchers étaient défoncés, les plafonds suintaient, les peintures avaient disparu depuis longtemps des murs….
Ils habitaient là, parce qu’ils avaient été chassés d’un foyer qui avait fermé. Cela devait être provisoire, un provisoire qui a duré plus de 10 ans. Pourtant, eux aussi avaient déposé un dossier de demande de logement auprès de la Mairie de Paris, ils y avaient droit autant que moi. Parce que ces gens auraient pu payer le loyer d’un appartement dans un HLM.
Voilà, j’ai honte d’habiter une ville très riche, mais surtout une ville dont la municipalité a, pendant des décennies, abordé les questions du logement social sous l’angle unique du clientélisme ou du copinage, attribuant un logement social de 5 pièces à un couple de médecins hospitaliers sans enfant (ce sont mes voisins du dessous !) et refusant de trouver une solution pour toutes ces familles d’immigrés tout aussi méritants que ces médecins, dont le seul tort étaient sûrement de ne pas être électeurs… c’est une honte, une honte.